Une transformation profonde et douloureuse
Lorsque quelqu’un quitte son milieu religieux, de son plein gré ou non, il doit forcément s’attendre à un grand bouleversement de ses repères, de ses valeurs, de ses croyances, bref… de sa vie toute entière. Parfois même, plusieurs ami.e.s et son entourage familial, références ancrées depuis de nombreuses années, vont disparaître de son quotidien. Bref, c’est un passage de vie tout sauf anodin, qui ne se fait pas sans heurts et blessures, et qui peut perdurer sur une longue période.
Un organisme essentiel
Nouvelles Racines est un organisme qui soutient les personnes, comme ça, qui sont à se refaire une vie, qui passent trop souvent de personne « bien entourée » à personne « délaissée et perdue ». Sans égard pour le milieu religieux d’où chacun.e est sorti.e, sans égard pour la race, le sexe, le niveau social. Sans jugement surtout. Avec beaucoup de respect, de considération et, en prime, du soutien. C’est un organisme relativement jeune, déjà très impliqué et extrêmement prometteur. En somme, c’est un organisme vital dont la société Québécoise avait bien besoin ! J’aurais tellement aimé le connaître dès sa naissance, mais ne dit-on pas que « mieux vaut tard que jamais » ? Et, encore, je ne suis heureusement pas si tard que ça…
Une expérience commune, quelle que soit la religion
Fait intéressant et intrigant, toutes les personnes avec qui j’ai pu discuter, venant de différents milieux religieux, tenaient un discours quasi identique concernant les sentiments qui les ont habitées pendant leur appartenance à leur groupe, ainsi qu’aux conséquences de leur sortie. Donc, que vous ayiez fait partie de telle ou telle religion/secte, on vous a enseigné que vous étiez dans le droit chemin alors que tout le reste de l’humanité confondu faisait fausse route. Vous avez été guidé.e et encadré.e pour le choix de vos ami.e.s, de vos passe-temps, d’un.e conjoint.e, de votre scolarité, du travail qu’il valait mieux privilégier en rapport à un autre, etc. À votre sortie, vous avez été carrément et complètement banni.e du groupe, et très souvent aussi de votre famille, si cette dernière faisait déjà partie du groupement religieux en question et y était restée attachée.
Réactions variées face à l’exclusion
Par contre, là où tout est différent, ce sont les sentiments que font naître chez chaque personne ce rejet massif, en bloc. Cette sensation nouvelle de liberté, pour plusieurs, devient pour d’autres un égarement, un sentiment paniquant de perte de repères et un énorme vide. Pour chacun.e, les réactions divergent, selon entre autres le nombre d’années passées au sein de la religion/secte, le moment et la façon auxquels on y a adhéré, le fait d’avoir toujours de la famille proche – ou pas – au sein de ce groupement, d’avoir ou non un.e conjoint.e qui reste fidèle à sa foi, etc. Tous ces critères peuvent grandement impacter, positivement ou négativement, le processus de déconversion d’un individu. Élaborons sur ce sujet.
Grandir dans une secte ou s’y convertir à l’âge adulte : deux réalités très différentes
Une personne qui a grandi dans sa religion/secte (qui y est née ou dont les parents y ont adhéré alors qu’elle était en bas âge, c’est-à-dire à un âge où on ne sait pas faire son propre choix en matière religieuse) va sans doute se sentir davantage déroutée, puisqu’elle quitte tout ce qu’elle a jamais connu, tous ses repères. On peut aussi supposer fortement que sa famille immédiate fait également partie de la même communauté religieuse – ce qui signifie pour la personne qui la quitte un autre deuil, immense : celui de ses proches, souvent père, mère, frère.s et soeur.s, neveux ou nièces, et parfois même son ou ses propre.s enfant.s. Et comme si cela ne suffisait pas, pour différentes confessions religieuses l’éducation n’est pas prioritaire, particulièrement pour les filles et/ou pour poursuivre des études supérieures. On imagine sans difficulté les traumatismes que vivent des centaines de personnes qui sont passées par ce processus, dont je suis.
Une telle personne se retrouve seule, isolée, complètement perdue au sein de la société qu’il ne lui était pas recommandé de fréquenter quelques jours/semaines auparavant. D’un horaire structuré, encadré et rigide, elle a désormais toute liberté mais ne sait pas nécessairement quoi en faire. Dans les cas les plus extrêmes, elle peut même se retrouver complètement démunie financièrement, sans avoir quelqu’un vers qui se tourner. Le changement est complet, drastique, traumatisant voire carrément épeurant. Personnellement, je me suis retrouvée à la rue, j’ai tout perdu d’un coup, j’étais malade… et complètement seule. Ma mère et mon frère, toujours de fidèles membres de leur Assemblée, ont été très peu présents, très très peu, et le malaise qui planait sur nos têtes à chaque rare occasion d’échanges me rappelait que la situation avait « drôlement » changé.
Par opposition, imaginons-nous une personne qui embrasse de nouvelles croyances à l’âge adulte, de son plein gré et en sa pleine conscience. Il n’est pas certain que sa famille entière se convertira dans la même foulée, heureusement pour elle. Quelques autres points : quelqu’un qui demeure croyant et assidu à son Église pour quelques années seulement aura peut-être plus de facilité à se refaire des contacts, des amis, à sa sortie qu’une personne qui y a grandi et y est restée toute sa vie – jusqu’à 30, 40 ans (dans mon cas), ou même davantage. La personne qui était adulte au moment de sa conversion avait déjà complété ses études, avait aussi sans doute déjà un travail. Et elle n’a peut-être pas eu à couper les ponts avec tous ses ami.e.s et sa famille proche, du moins on l’espère pour elle. Il ne doit pas être facile non plus de vivre une situation où seulement l’un des conjoints se déconvertit alors que l’autre demeure au sein de l’Église. Alors, même s’il s’agit d’une expérience traumatique et difficile pour ces personnes également, leur déconversion ne se passera pas exactement comme celle des personnes évoquées précédemment.
Autres points de méditation : alors que certaines personnes sont très à l’aise avec cette liberté retrouvée ou nouvellement acquise, qu’elles n’attendaient que ça et l’avaient souhaitée tout au long de leurs enfance et adolescence, pour d’autres c’est le vide qui s’installe. Le vide qui est en fait un gouffre et qui risque de les avaler à tout moment. Certains auront une existence totalement et diamétralement opposée à celle qu’ils connaissaient, voulant « rattraper le temps perdu » et mordre dans la vie à pleines dents puisque ça leur est désormais possible. D’autres auront de la difficulté à sortir des sentiers battus dans lesquels ils ont marché toute leur vie, comme un vieux cheval qui connaît le chemin qu’il doit parcourir avec un touriste sur le dos, chaque jour, de chaque semaine, de chaque mois, de chaque année de son existence. Il sait qu’il y aura une conséquence s’il en déroge et ce, même longtemps après que son guide ne l’accompagne plus. Le sentiment de culpabilité a changé de forme et de couleur, mais il n’est pas moins intense pour autant.
Pour illustrer ce fait, voici une anecdote éloquente : lorsque j’étais croyante, ne pas fêter Noël, le Jour de l’An, la Saint-Valentin ou Pâques m’importait peu. Ce que je trouvais particulièrement difficile, par contre, était de ne pas souligner un anniversaire de naissance. Surtout que j’ai la mémoire des dates – je me rappelle de la date d’anniversaire de certains camarades de classe qui n’étaient pas mes « amis » et que je n’ai jamais revus en 40 ans. Alors voilà, j’étais maintenant libre de souhaiter un Bon Anniversaire à qui je le voulais, et même d’organiser une grosse Fête si le cœur m’en disait… ce que j’ai fait pour mon amoureux, en 2012 (soit un peu plus de 4 ans après mon excommunication, quand même). J’ai vraiment mis le paquet, je voulais marquer le coup pour lui : location d’un site, traiteur, invitations d’amis, décors, gâteau identifié au jubilaire, etc. J’ai réellement eu du plaisir à organiser tout ça, j’étais heureuse de le faire, et zen dans ma démarche. Mais voilà le moment où on lui chante « Bonne Fête » et où on doit couper et distribuer les parts de gâteau : blocage total, complet. Incapable de chanter, incapable de dire haut et fort « Bonne Fête », incapable d’aller couper et distribuer le gâteau. Je n’en ai jamais reparlé avec les invités qui ont dû s’en charger à ma place, j’étais trop gênée et honteuse, donc j’ignore s’ils ont remarqué mon malaise et se sont posé des questions – en tout cas, s’ils s’en sont posé, ils ont gardé ça pour eux. Et de mon côté, j’ai été la première surprise de ma réaction, puisque je savais depuis le début que j’allais devoir faire ces choses-là, et que de les envisager ne me posait aucun problème. Mais le « vieux cheval » avait décidé de rester dans le chemin connu, brusquement et sans appel.
Un parallèle avec l’adaptation culturelle
En fait, les malaises peuvent être nombreux et fréquents. Je comparerais la situation à celles de nouveaux arrivants ou de vacanciers à l’étranger. Si ces derniers connaissent les us et coutumes acceptables pour la population de leur lieu de résidence, il n’en est pas de même pour leur terre d’accueil ou leur lieu de vacances. Ce qui peut donner place à des situations stressantes, humiliantes, choquantes, embêtantes, etc. Si j’avais su qu’il est normal et de bon ton d’appeler les gens de 50 ans et plus des « personnes âgées » au Bénin, de les faire asseoir et de les prioriser pour l’accès au comptoir, j’aurais mieux accepté cette situation quand on me l’a servie tout bonnement au milieu de la clientèle de ce fournisseur de téléphonie cellulaire ! Mais parce que je ne « l’avais pas vu venir », j’ai été très insultée et choquée, j’en ai même pleuré… Bon, ça n’a rien de religieux, mais ça illustre que les différences culturelles (même chose dans le domaine religieux) peuvent nous impacter, nous secouer. Sans parler des nombreuses fois où l’on peut être stressé.e de ne pas trop savoir comment agir ou réagir en telle ou telle circonstance. Je me rappelle combien j’étais mal à l’aise la première fois où j’ai été invitée à passer le Réveillon de Noël avec la famille de mon conjoint. J’étais pourtant très heureuse et flattée d’avoir été conviée, mais mon dernier Noël remontait à mes 3 ans, et j’en avais maintenant 45. Quant à savoir si je dois payer pour l’Extra et quelle loterie choisir… c’est encore plutôt ambigu comme concept pour moi et, sans surprise, je n’ai pas tellement d’opinions politiques !
Dernier point de réflexion ici, et non le moindre : si nous avons quitté une religion/secte, des ami.e.s et notre famille, cela implique-t-il que nous avons obligatoirement abandonné toutes nos croyances ? Encore là, le cheminement diffère grandement d’une personne à l’autre. Si certains rejettent tout en bloc, l’existence de Dieu incluse, d’autres rejetteront la religion, ou la secte, tout en tenant à cœur certains principes et croyances. Sans avoir sondé officiellement tous les membres, je serais tentée de croire que les religions/sectes sont majoritairement bannies, c’est-à-dire les « organisations humaines », les principes, valeurs et dictats humains. Plusieurs ont observé et constaté les failles de ces organisations, parfois même alors qu’ils en faisaient toujours partie.
En discutant avec un ami récemment, qui me disait se sentir tellement vide intérieurement depuis qu’il a quitté sa communauté religieuse, nous en sommes venus à la conclusion qu’il avait certes rejeté la religion, mais n’en avait strictement rien gardé et, pire, n’avait pas veillé à remplacer cette facette importante et majeure de sa vie par autre chose. De fil en aiguille, je lui ai exprimé que les enseignements (tirés de la Bible, du Coran ou d’autre.s livre.s sacré.s) et la religion comme telle ne sont pas la même chose, en fait. On peut rejeter la religion/secte et ses enseignements, ou garder ceux-ci, en partie ou en entier bref, rien ne l’empêchait de garder en lui ce qui lui convenait, lui faisait du bien. Nous avons même convenu qu’il était tout à fait possible de garder Dieu (selon notre propre conception de ce qu’Il est) dans nos vies et que, s’il ne souhaitait pas lui donner le Nom dont il l’appelait jusque-là, il pouvait bien l’appeler comme il le voulait, avec respect. Ce à quoi il m’a dit : « Je peux l’appeler du même Nom qu’auparavant, mais je peux le voir selon ce que je connais de Lui et non selon ce que les prêtres ont souhaité que je croie ». Effectivement, c’est une sage façon de voir les choses, et cette conversation nous a fait le plus grand bien à tous les deux – malgré que nous ne venons pas de la même confession religieuse.
Cet ami, je l’ai justement rencontré par l’entremise de Nouvelles Racines, dont il fait lui aussi partie. Comme je l’ai mentionné en introduction, c’est un organisme très impliqué et superbement dynamique ! Pour des gens en processus de réflexion ou de déconversion, et même si le processus s’est déjà enclanché il y a plusieurs années, il s’agit d’un passage de la vie perturbateur, où l’on se sent (et où l’on est, il faut bien le dire) rejetés, humiliés, voire même carrément condamnés. Ces sentiments peuvent malheureusement nous habiter pendant des mois, voire des années. Pour plusieurs, un énorme sentiment d’injustice plane, non sans raison. Bref, il sera sans doute approprié, possible et nécessaire de refaire un article sur le sujet, tellement il y aurait encore à développer. On se dit donc à bientôt !
Article écrit par Johanne